Un groupe d’aveugles se rassemble autour d’un éléphant pour se faire une idée de son apparence. L’un d’eux saisit la jambe et dit : « Un éléphant ressemble à un tronc d’arbre mou. » Un autre attrape la défense, il proteste : « Au contraire, un éléphant est dur et pointu, il a une forme allongée et courbée. » Un troisième s’exclame en tâtant le côté : « Complètement faux ! Un éléphant ressemble à un mur plat avec des aspérités. » Le quatrième, quant à lui, tient triomphalement la queue entre ses mains et se moque de tout le monde : « Un éléphant n’est qu’une fine corde. » Ils se disputent et se tapent sur la tête, chacun étant persuadé de dire la vérité.

Bernard Voïta se réfère à la parabole ancestrale et très actuelle « Les aveugles et l’éléphant » pour illustrer son intérêt pour la photographie. Né en 1960 à Cully, l’artiste a fait sensation sur la scène internationale dès 1990 avec ses photos montrant des objets banals de la vie quotidienne dans un désordre si méticuleux que les spectateurs.trices cherchaient en vain un appui et une orientation. Ces œuvres ne reposaient pas sur des montages ou des collages, mais sur des installations spatiales qu’il traduisait en images planes et irritantes à travers son appareil photo. Depuis, Voïta a poursuivi avec obstination ce jeu fantastique entre apparence et réalité. Cette exposition présente maintenant pour la première fois la série complète Melencolia (2014-2017), dont le titre fait allusion à une œuvre célèbre d’Albrecht Dürer – des illusions sensuelles, intelligentes, rusées et parfois même dérangeantes, dans lesquelles la photographie crée sa propre réalité. Rien n’est tel que nous le voyons.