Werner Bischof – Unseen Colour
Devin Tri-Color
Le Devin Tri-Color est l’un des premiers appareils photographiques à utiliser le procédé de la trichromie. Il existe certes des exemples antérieurs d’utilisation de cette technique – une première démonstration scientifique remonte à 1861–, mais ce n’est qu’en 1938 que la percée se produit avec le modèle « one shot » (une seule prise de vue) de la société américaine Devin Colorgraph Company.
Lors de la prise de vue avec le Devin, trois négatifs sur verre noir et blanc sont exposés simultanément via deux miroirs semi-transparents. Un filtre de couleur est placé devant chaque plaque de verre, de sorte que chaque négatif n’enregistre qu’une seule teinte : selon le filtre, soit les rouges, les verts ou les bleus. Les différentes séparations de couleurs permettent de préparer ensuite les plaques d’impression pour les couleurs cyan, magenta et jaune. Imprimées les unes sur les autres lors de la production d’un magazine ou d’un livre, on obtient une représentation colorée qui correspond à la perception humaine. Aujourd’hui, il est possible de scanner, colorer et assembler numériquement les trois négatifs pour former une image couleur.
L’appareil exposé ici est le Devin Tri-Color original, très cher à l’époque, que la maison d’édition zurichoise Conzett & Huber, éditrice du magazine Du, avait acheté spécialement pour Werner Bischof et mis à sa disposition pour des photos publicitaires, des couvertures et des reportages.
Automate Rolleiflex
Werner Bischof est familiarisé avec le Rolleiflex depuis son enfance, puisque son père l’utilisait déjà en amateur. Il s’agit d’un appareil photo reflex moyen format d’une excellente qualité optique et mécanique, doté de deux objectifs : un objectif supérieur pour déterminer le cadrage et un objectif inférieur pour prendre la photo. Tenant l’appareil au niveau du ventre, les photographes voient l’image d’en haut et à l’envers sur un écran mat, ce qui a une incidence sur l’angle de prise de vue ainsi que sur le cadrage et la composition. L’une des particularités des photos prises avec le Rolleiflex est leur format carré (6 x 6 cm), très apprécié par de nombreux photojournalistes, notamment du fait qu’il permet de créer des images aussi bien en format horizontal qu’en format vertical et de les intégrer dans une mise en page appropriée. Séduit par la précision et la fiabilité du Rolleiflex, Werner Bischof l’utilise tout au long de sa carrière et devient un maître de la composition au format carré.
En 1947, Kodak lance le film en rouleau Ektachrome, un film diapositive recouvert d’une émulsion dans laquelle sont incorporés les composants nécessaires à la production des colorants jaune, pourpre et magenta. Pour produire une diapositive couleur, il suffit donc d’une seule prise de vue, qui est ensuite décomposée en séparations de couleurs pour l’impression. Dès 1947, Bischof travaille avec l’Ektachrome, bien que ce premier film couleur pour les caméras moyen format ne soit pas encore très stable.
Leica
Dans les années 1950, Werner Bischof photographie principalement avec le Leica. Cette invention géniale d’Oscar Barnack, technicien et constructeur chez Leitz à Wetzlar, est un appareil photo petit et léger avec un film 35 mm et des objectifs interchangeables. Fabriqué en série à partir de 1924, il connaît immédiatement un grand succès. La résolution des prises de vue n’est certes pas aussi élevée que celle du Rolleiflex, mais sa maniabilité et sa rapidité d’utilisation révolutionnent le photojournalisme. Ce n’est pas un hasard si le Leica devient l’appareil préféré des photographes qui collaborent avec la légendaire coopérative Magnum Photos.
Les premiers films diapositives couleur 35 mm adaptés au Leica sont commercialisés par Kodak en 1936 sous le nom de Kodachrome, mais ce n’est que deux ans plus tard que l’on parvient à produire des diapositives à couleurs stables. Ces dernières reposent – comme l’Ektachrome – sur un procédé « chromogène » qui présente trois couches superposées, sensibilisées respectivement au bleu, au vert ou au rouge. Les diapositives Kodachrome sont nettes, ont un grain fin et des couleurs vives, et sont en outre parfaitement adaptées à l’archivage. Dès 1938, le magazine américain de référence Life demande à des photojournalistes sélectionnés de photographier avec le Kodachrome – ainsi, outre Robert Capa, le Suisse Walter Bosshard, dont les premières photos couleur de la guerre sino-japonaise paraissent dans Life le 8 août 1938.